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Rob Garner est Professeur de Science Politique à l’Université de Leicester, co-fondateur du CASJ (Centre for Animal and Social Justice), et a été choisi pour faire parti du comité d’experts lors du débat tenu pour l’anniversaire de la RDPCA.
Le Professeur Garner est une autorité reconnue du Royaume Uni dans le domaine politique de la protection animale et a beaucoup contribué dans ce domaine. Il s’est récemment engagé dans un projet de recherche financé par le CASJ sur la représentation politique des animaux et a récemment publié le livre : A Theory of Justice for Animals.
Qui est responsable du bien-être animal ? Voici la question que nous tâcherons de répondre aujourd’hui à la House of Commons ainsi que lors d’un évènement qui aura lieu le 16 juin prochain, organisé pour célébrer les 190 ans de la RSPCA (note : Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals) dans le même bâtiment où l’association fut créée en 1824. L’objectif est de lancer un débat informant sur la direction et les points d’intérêts centraux de l’association qui ont été menés ces deux derniers siècles.
La question pourrait, du moins au début, sembler bizarre. En effet, on peut certainement dire que nous avons tous une responsabilité dans le bien-être animal. Bon, mais je ne suis pas si sûr que ce soit une réponse satisfaisante. En effet, je pense que cette réponse n’est pas seulement trompeusement simpliste, mais elle est aussi, peut-être involontairement, nuisible à la cause du bien-être animal.
Pour expliquer le pourquoi de cela, nous avons besoin de faire la distinction entre deux domaines. Le premier est le domaine relevant des individus. Ces derniers sont regroupés dans ce qu’on appelle la “société civile”. La société civile se compose des associations non-gouvernementales dans lesquelles les individus participent souvent, mais pas toujours, avec l’intention d’exercer une pression sur les institutions de l’État. De nos jours, au vue des frontières de l’État Nation de plus en plus ouvertes, on parlera plutôt d’une “société civile globale”.
Le second domaine est celui de l’État et se compose des institutions chargées de prendre des décisions officielles et collectives auxquelles nous, en tant que citoyens, sommes obligés d’obéir. La globalisation a probablement réduit le pouvoir de l’État nation, au point où le pouvoir est désormais partagé entre les États nations et tout un pan des organisations internationales, qu’ils soient permanents et de grande ampleur, tel que l’Union Européenne, ou composé de traités temporaires conçus pour focaliser sur une problématique particulière ou un nombre limité de questions.
Pour répondre à notre question de départ : le bien-être animal peut engager la responsabilité de la société civile et celle de l’individu ou bien concerner la responsabilité de l’État. Dans la pratique, bien sûr, la responsabilité des deux devrait être engagée. Les lois chargées de la protection des animaux ne sont pas susceptibles d’aboutir sauf si des individus reconnaissent de la valeur à bien traiter les animaux. De même, sans certaine forme de sanction légale, le mauvais traitement des animaux est probablement voué à perdurer.
Cela dit, il y a un danger à voir le bien-être des animaux comme étant surtout un domaine de la conscience morale individuelle. Certaines campagnes de protection animale, en effet, visent les individus et peuvent se baser sur un discours de moralité personnelle. L’appel bien connu du “go vegan” est un exemple. La tentative de convaincre les consommateurs à acheter de la viande ou des œufs “plein air” ou des produits cosmétiques sans cruauté en est un autre. Imaginez que le bien-être animal se réduise à cela. Une personne pourrait traiter les animaux comme elle le voudrait, selon ses propres convictions morales. Ainsi, l’État ne devrait pas intervenir sauf pour créer un environnement dans lequel les individus soient capables d’exercer librement leur morale personnelle lorsqu’elle concerne les animaux. Le rôle de l’État n’est pas d’intervenir pour imposer à tout le monde une seule version de la morale personnelle.
La notion de pluralisme moral est sacro-saint au sein des sociétés libérales comme la nôtre. Dans un pluralisme moral du domaine libéral, les perspectives morales concurrentes sont alors autorisées, à condition bien sûr qu’ils ne puissent pas nuire aux autres êtres humains, auquel cas l’État intervient. En suggérant que notre traitement des animaux fasse partie de la sphère morale, cela revient à raccrocher ce sujet, par inadvertance, au principe libéral du pluralisme moral selon lequel la manière dont les animaux sont traités est une question de la préférence personnelle plutôt qu’une obligation morale.
Bien sûr, il n’y a pas de doute à avoir que les croisades morales au nom des animaux ont apporté de bons résultats. Il y a plus de végétariens et de véganes qu’auparavant et, par conséquent, plus d’options disponibles pour les consommateurs végétariens et véganes. Il existe aussi un marché en pleine croissance de produits animaux en plein air. De plus, l’emphase libérale du choix peut sembler une façon civilisée de gérer les différences inéluctables d’opinion morale. Si, bien sûr, les préférences morales individuelles deviennent plus propices à un meilleur traitement des animaux, alors elles peuvent jouer un rôle important dans le changement de l’opinion publique, qui, éventuellement, aurait un impacte sur les décideurs politiques.
Considérer le traitement des animaux comme une question individuelle de la morale personnelle est toutefois profondément problématique. Au bout du compte, qu’un individu décide de changer son mode de vie ou pas reste une question de choix personnel et l’État n’a pas à obliger qui que ce soit à se comporter d’une manière plutôt qu’une autre. Surtout, l’emphase de la moralité personnelle donne peut être aux décideurs politiques une excuse pour ne pas prendre de mesures visant à protéger les animaux.
Même s’il est impossible de prouver qu’il y a un lien entre les choix disponibles pour ceux qui sont engagés à mettre un terme à la souffrance animale et le manque de droits concernant le bien-être animal, l’existence d’une large gamme de choix rend, sans doute, la souffrance animale – qui est toujours permise –, plus acceptable. En cas de contestation de l’absence – ou du faible contenu – de la législation sur le bien-être animal, les acteurs Étatiques peuvent tout simplement répondre qu’il s’agit d’une question de préférences personnelles. Ainsi, si une grande majorité choisit de ne pas être végane ou de ne pas consommer de produits animaux du plein air, l’État ne se sentira pas obliger d’intervenir.
Par conséquent, vous et moi pourrions décider de renoncer à ce qui exploite les animaux et, mon choix moral devra être respecté ou au moins toléré. Je pourrais “devenir végane” ou végétarien ou encore décider de manger uniquement les animaux élevés en plein air. Cependant, la majorité n’a choisi aucune de ces options, et il est peu probable qu’elle le fasse, à moins d’être forcé par l’État. Comme il s’agit d’un choix moral, d’autres individus ont le droit de manifester des préférences contraires, et vous et moi sommes tenus de respecter ces préférences, et de ne pas les entraver dans la poursuite de leurs préférences, même si nous sommes fondamentalement en désaccords avec eux. Ainsi, l’existence de nourriture “équitable” présuppose l’existence de nourriture issu d’“esclaves” et, l’existence de cosmétiques faits sans cruauté présuppose l’existence de “cosmétiques basés sur la cruauté”.
C’est pour ces raisons que le bien-être des animaux ne peut pas reposer uniquement sur la conscience morale. Chercher la protection des animaux en s’engageant exclusivement dans une croisade morale a pour effet de retirer les animaux de la scène politique et enlève la possibilité de la législation exécutive de les inscrire. En effet, cela a comme conséquence, bien que fortuit, un retour à l’époque où l’État et le système juridique ne reconnaissaient pas leurs responsabilités envers la protection des intérêts des animaux et étaient disposé à agir seulement lorsque la maltraitance des animaux aboutissait à une atteinte des humains.
Le traitement des animaux, devrait donc être la responsabilité collective de la société et par conséquence celle de l’État. Et c’est précisément parce que nous faisons des animaux une question de justice et non de charité ou de bénévolat. Les animaux devraient être le sujet de la justice parce qu’ils ont une position morale, parce que ce que ce que nous leur faisons leur importe et que cela peut leur porter atteinte.