Coucou,
Ci-dessous un texte que j'ai écris cet été, qui serait à retravailler mais que je vous partage quand même.
"Végétarisme, veganisme : des mots qui voilent et freinent
Aujourd’hui, nous sommes des dizaines de millions à travers le monde à refuser de manger des animaux pour eux-mêmes, ainsi que les produits de leur esclavage.
Ce boycott est le plus étendu de tous les temps. Même s’il est vécu le plus souvent isolément, il n’en reste pas moins un acte éthique et (donc) politique. C’est un acte de contestation contre un ordre social très enraciné. Cette contestation génère en réaction des sanctions sociales (exclusion, ridiculisation, déni, invisibilisation, déligitimation, etc..) que nous subissons au quotidien.
L’usage des notions de végéta*isme et de veganisme pour décrire concrètement notre mode de contestation contribue en fait à l’invisibilisation de nos convictions, en réduisant notre engagement à un mode de vie.
Ces mots englobent des réalités et des représentations beaucoup plus diverses que le refus de consommer des produits animaux pour les animaux. Dans le sens commun, un végétarien est un ascète, un hygiéniste ou encore un écologiste, bien plus qu’un opposant au massacre des animaux. La question animale est ainsi facilement dissoute dans un fatras de motivations personnelles diverses.
Ainsi les définitions sociales du végétarisme et du veganisme, plurielles et floues, contribuent à voiler nos motivations et empêchent de nous penser comme mouvement social et politique, et par conséquent à nous organiser en tant que tel.
Le boycott des produits animaux ne doit plus être considéré comme un mode de vie qui ne concerne que celui qui le mène, mais comme une action qui s’inscrit dans une lutte politique qui vise à l’abolition de l’esclavage animal au niveau de la société tout entière. Pour cela nul besoin des notions de « végétarisme » et de « veganisme », y compris au quotidien. Nul besoin de ces étiquettes pour nous définir : nous refusons de manger des animaux, point.
Par leurs usages sociaux, au sein et en dehors des réseaux militants, les notions de végéta*isme et de veganisme confortent les militants et l’ensemble de la population dans l’idée que nous sommes une communauté qui, selon le modèle de l’intégration à la française (assimilationniste), doit rester invisible en tant quel telle, en s’assimilant le mieux possible au modèle dominant. Ce qui rend caduque toute idée de solidarité interne par la mobilisation collective. La solidarité « entre végés », sur les réseaux sociaux, par exemple, existe mais elle s’inscrit parfaitement dans le modèle individualiste et dans l’optique d’assimilation. La question qui revient le plus souvent sous des formes différentes est donc : comment faire passer mes idées auprès de mes proches sans me faire rejeter ? Pour y répondre, chacun a ses trucs et astuces, ses conseils, ses recettes.
Derrière la volonté de dépolitisation, qui se traduit dans les discours par une invisibilisation des animaux, il y a une volonté d’intégration, ou autrement dit une crainte de la marginalisation, qui est compréhensible. Etre dans la confrontation au quotidien et de manière isolée n’est pas vivable. Il faut donc trouver des stratagèmes pour concilier intégration et convictions, un de ceux-ci est de penser le conflit comme néfaste à la cause, par exemple de voir dans chaque réaction hostile un échec. En ce sens, il s’agit de confondre ce qui est bon pour nous en tant qu’acteur social et ce qui est bon pour la cause.
Ainsi, plutôt que d’assumer nos idées subversives (ce qui est plus facile collectivement !), nous sommes tentés, au nom de l’efficacité mais aussi par souci d’intégration, de les lisser, de les sophistiquer pour mieux les intégrer (et nous avec) à ce que nous estimons être les valeurs et les normes dominantes. Pourtant, fondamentalement, nous ne sommes pas une communauté que la société doit respecter au nom des « droits de l’Homme » et de la diversité culturelle, mais un mouvement social naissant, porteur d’idées révolutionnaires, pour plus de justice. Nous nous situons dans la lignée de certains mouvements de travailleurs, des mouvements anti-esclavagistes, de libération des femmes, etc… qui eux aussi ont lutté et luttent encore contre l’injustice et pour l’égalité.
Sans cette perspective de mobilisation collective, le boycott des produits animaux perd presque tout son sens parce qu’il est totalement illusoire de penser que l’on change une société simplement en convertissant un à un les individus qui la composent.
La « propagande » végétariste et veganiste est précisément fondée sur cette idée libérale selon laquelle la société n’est rien de plus qu’un ensemble d’individus isolés les uns des autres, et qui doivent par conséquent changer un à un... si ils le veulent. Cette idée est potentiellement néfaste au mouvement animaliste, comme à tous les mouvements sociaux.
On voit les dégâts de cette idéologie libérale et individualiste par exemple dans les usines et autres lieux de travail où le progrès n’est (presque) plus pensé qu’à l’échelle individuelle, au cas par cas, rendant inutile la solidarité et la mobilisation collective. Or qui pourrait prétendre, aujourd’hui, que la situation des travailleurs s’améliore globalement ?
On voit aussi ses dégâts en s’intéressant aux représentations sociales des chômeurs, qui malgré l’aspect structurel de plus en plus évident du chômage, sont considérés comme responsables de leur situation, et non plus comme victimes d’un système économique. Ce qui rend presque impensable toute solidarité entre chômeurs et ainsi toute perspective de progrès.
Et nous verrons ses dégâts demain dans notre mouvement lorsque nous nous rendrons compte que le poids politique du mouvement animaliste ne correspond pas au poids numérique des végéta*iens, et que nous serons incapables d’obtenir des avancées majeures pour les animaux malgré un nombre grandissant de végéta*iens, parce que nous aurons contre nous des forces politiques, mêmes moins nombreuses, beaucoup mieux organisées."