[Article] Sénat, code civil et animaux
Posté: Dim 25 Jan 2015 01:05
Via Kevin Barralon
Je copie ce texte de Philippe Malinvaud, professeur à Paris II, publié dans le Recueil Dalloz du 15 janvier 2015 (p. 87-88) et qui me paraît pertinent après le refus du Sénat d'inscrire la précision que l'animal est un "être vivant doué de sensibilité" dans le Code civil. Ce texte révèle plusieurs critiques concernant l'amendement Glavany auxquelles il fallait s'attendre : pourquoi répéter ce que le droit reconnaît déjà ? Qu'est-ce qu'un "animal" ? De quelle sensibilité parle-t-on ?
Je ne pense pas qu'il faille s'indigner à ce point du refus de la part du Sénat de voter cet amendement qui, manifestement, induit en erreur. Le problème est qu'on entend tout et n'importe quoi à ce sujet. Certains médias ont relayé l'information en affirmant que le Sénat refusait d'assimiler l'animal à un être sensible, ce qui est faux. Notamment parce que la sensibilité de l'animal est reconnue ailleurs, comme dans le Code rural. Avec ou sans ce texte, l'animal est bien reconnu comme un être doué de sensibilité, malgré son exploitation sans limites.
La question de fond est donc l'intérêt de réaffirmer la sensibilité de l'animal dans le Code civil. Là encore, il y a beaucoup d'erreurs de compréhension. Avec cet amendement, les animaux resteront toujours soumis au droit des biens : on pourra toujours les acheter, les vendre, intensifier l'élevage, etc. Même l'aspect symbolique paraît douteux puisque dans l'opinion, on pourrait croire que, grâce à cet amendement, les animaux seront traités comme des êtres sensibles, s'imaginant que les animaux ne seront plus des biens. Mais ce texte, en plus de réaffirmer la sensibilité des animaux, réaffirme également leur soumission au droit des biens. Il ne s'agit donc, ni d'une avancée concrète ni d'une avancée symbolique.
Cet amendement apporte simplement le risque que le débat soit clos pendant un moment. Et ça, c'est la volonté des initiateurs dudit texte.
_____________
Article :
L'animal va-t-il s'égarer dans le code civil ? Texte de Philippe Malinvaud, professeur à Paris II, publié dans le Recueil Dalloz du 15 janvier 2015 (p. 87-88).
"1 - La situation actuelle. Le code civil a pour vocation fondamentale de régler le statut civil des personnes, ainsi que leurs rapports entre elles ou avec les choses. Il est réparti en cinq livres : des personnes, des biens, des différentes manières dont on acquiert la propriété, des sûretés, des dispositions applicables à Mayotte.
Rien ne concerne les animaux, si ce n'est de manière très indirecte dans le livre II relatif aux biens où est faite la distinction des meubles et des immeubles. S'agissant des biens meubles, l'article 528 dispose : « Sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu'ils ne peuvent changer de place que par l'effet d'une force étrangère ».
Toutefois, certains animaux sont classés par le code civil dans la catégorie des immeubles par destination. Ainsi, l'article 524 dispose, de manière vieillotte et relative aux exploitations agricoles - qui étaient un bien important au XIXe siècle -, que « les animaux et les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds sont immeubles par destination » ; et sont ici explicitement visés « les animaux attachés à la culture », « les pigeons des colombiers », « les lapins des garennes », « les ruches à miel », « les poissons » de certaines eaux et plans d'eaux.
Mais n'entrent dans cette catégorie que les biens appropriés, c'est-à-dire ceux qui sont la propriété des personnes, ce qui n'est pas le cas de tous les animaux. Même s'il ne le dit pas, le code civil ne vise que les animaux de ferme, question importante en 1804, pas les animaux de compagnie et encore moins les animaux sauvages qui n'appartiennent à personne. En fait, l'immense majorité des animaux ne sont pas des biens et ne sont donc pas pris en compte par le code civil.
2 - Le lobbying animal. Depuis le début des années 1990, un certain nombre de juristes défenseurs des animaux ont milité, parfois avec beaucoup de talent, pour que l'animal ne soit plus considéré par le code civil comme une chose ou un objet et qu'il soit doté d'un statut, sinon même de la personnalité juridique. Ici, au moins implicitement, étaient visés les seuls animaux domestiques et de compagnie.
Leur action a été très puissamment relayée dans la grande presse par vingt-quatre personnalités, écrivains, philosophes, tous éminents mais non-juristes (not. L. Ferry, J. Julliard, B. Cyrulnik, E. Orsenna, F. Lenoir, M. Onfray, A. Finkelkraut, etc.) signataires d'un manifeste en 2013. L'indignation de ces intellectuels non-juristes se comprend dans la mesure où on est trop souvent confronté à des exemples aussi odieux qu'aberrants de mauvais traitements aux animaux. Certains, plus médiatiques que d'autres, nous sont rapportés par la grande presse : ainsi de celui qui projette son chaton contre un mur et qui en publie les images sur Facebook, ce qui lui a valu une peine de prison, ou encore les bébés phoques massacrés au Canada.
C'est dans ce contexte qu'a été adopté un amendement, à l'occasion des débats consacrés au projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, insérant dans le code civil, en tête du livre II consacré aux biens un article 515-14 aux termes duquel : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens », article dont les mauvais esprits relèveront qu'il fait directement suite aux articles relatifs aux : « mesures de protection des (personnes) victimes de violence ». Ironie du hasard ou perception subliminale ?
3 - Observations critiques. D'entrée, le signataire de ce Point de vue entend préciser qu'il a eu des animaux de compagnie, qu'il les a beaucoup aimés, qu'il a connu les animaux domestiques (ailleurs qu'au Salon de l'agriculture), mais qu'il est aussi un juriste, non un philosophe, un écrivain, etc. Or, si on quitte le domaine de la philosophie pour retrouver celui du droit, le texte voté appelle de nombreuses critiques. On en retiendra seulement deux.
En premier lieu, ce texte n'a pas sa place dans le code civil. On ne saurait trop rappeler que le code civil n'est pas un fourre-tout ; il ne traite que du statut civil des personnes, pas des animaux, ni non plus des choses ou objets divers. Il n'y est question des animaux que de manière très indirecte, comme une catégorie de biens pouvant appartenir à une personne ou susceptible d'entraîner la responsabilité d'une personne. Même les plus farouches défenseurs des animaux, à une exception remarquable près (J.-P. Marguénaud, La personnalité juridique des animaux, D. 1998. 205), n'ont jamais prétendu que les animaux puissent avoir un statut juridique comme les personnes.
Le texte de l'article le reconnaît implicitement. En effet, à la proclamation de principe figurant dans la première phrase succède immédiatement une proposition qui la contredit : « Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». En bref, au plan du droit civil, les animaux relèvent de la catégorie des biens corporels, c'est tout. Ce faisant, l'amendement reprend, à peu de choses, près la proposition formulée par l'Association Henri Capitant pour une réforme du droit des biens : « Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des choses corporelles » (art. 521). En fait, l'animal n'a rien à faire dans le code civil (V., dans le même sens, D. 2014. 1844, obs. B. Mallet-Bricout). En revanche, dans la mesure où il sert aux hommes à des titres divers, et notamment comme nourriture, sa place naturelle est dans d'autres codes, le code rural et de la pêche maritime ou encore le code de l'environnement.
Et tel est bien le cas. La définition qu'on voudrait insérer dans l'article 515-14 du code civil figure déjà, à quelques nuances près, dans le code rural qui consacre tout un chapitre à « la protection des animaux ». Ce chapitre est ouvert par l'article L. 214-1 ainsi rédigé : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». Et les deux articles suivants de proclamer : « Il est interdit d'exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu'envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité » (art. L. 214-3) ; « Tout homme a le droit de détenir des animaux dans les conditions définies à l'article L. 214-1 et de les utiliser dans les conditions prévues à l'article L. 214-3, sous réserve des droits des tiers et des exigences de la sécurité et de l'hygiène publique et des dispositions de la loi (....) relative à la protection de la nature » (art. L. 214-2).
Que les philosophes et les bons esprits se rassurent. Les animaux bénéficient d'une définition et d'un statut protecteur dans d'autres codes. Pourquoi faudrait-il également en faire mention dans le code civil, qui deviendrait ainsi curieusement un code suiveur du code rural ? Pour beaucoup, c'est une question de principe ; il s'agit de planter symboliquement un drapeau dans le code civil pour rapprocher autant que faire se peut l'animal de l'homme. Dans les faits, ce rapprochement viendra peut-être un jour - l'Homo sapiens faisait, semble-t-il, partie du règne animal - mais, pour l'instant, on ne le trouve que dans les films d'anticipation (La planète des singes). Il est alors piquant de constater que l'animal bénéficie d'une « promotion » qui n'est pas accordée au consommateur, seulement défini au code de la consommation. Il est vrai qu'à l'inverse du lobby animal, le lobby consommateur n'en demande pas plus...
En second lieu, il est important de dire que la définition prévue à l'article 515-14 ne saurait s'appliquer à tous les animaux, mais seulement à une infime minorité d'animaux supérieurs. Qu'est-ce, en effet, qu'un animal ?
Le Petit Larousse en donne la définition suivante : « Être organisé, doué de mouvement et de sensibilité, et capable d'ingérer des aliments solides à l'aide d'une bouche ».
Si on va chercher plus loin dans Wikipédia, on est effaré par la profusion du règne animal. Adieu les pigeons des colombiers, les lapins des garennes et les poissons des étangs du code civil ! On y lit que, « dans le langage courant, le terme "animal" est souvent utilisé (dans le sens de "bête") pour distinguer les humains du reste du monde animal ». De même, toujours dans le langage courant, « animal » peut faire référence à des animaux supérieurs, ou à l'animal domestiqué, de compagnie ou sauvage qui ont des statuts différents.
Quel est donc l'animal au sens de l'article 515-14 ? Faute de précision, on serait tenté de dire que c'est tout animal, quel qu'il soit. La liste est alors sans fin, on peut recenser plusieurs millions d'espèces ! Du plus simple au plus complexe Wikipédia cite :
- l'éponge, les anémones de mer, coraux et méduses, les vers ;
- les coquillages, les mollusques (escargots, limaces, moules, huîtres, poulpes, seiches), les crabes et écrevisses ;
- les poissons ;
- les myriades d'insectes, arachnides (araignées, scorpions et acariens, mais aussi libellules), hexapodes (blattes, mantes, termites et acariens), orthoptères (sauterelles, grillons), hémiptères (punaises, cigales), coléoptères (hannetons, coccinelles), hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis), diptères (mouches) ;
- les tétrapodes (reptiles, serpents, crocodiles, tortues), parmi lesquels figurent également les oiseaux et les mammifères.
On est quelque peu perplexe sur l'application de la future définition légale à ces divers animaux. Méduses, araignées, termites, fourmis, serpents sont-ils doués de sensibilité ? Et quid des huîtres que nous dégustons avec un filet de citron qui les fait réagir ? Les ostréiculteurs éprouveront certainement une grande fierté lorsqu'ils apprendront que leur produit phare est entré dans le code civil !
De tout cela, que conclure ? Qu'introduire l'animal dans le code civil est une fausse bonne idée qui relève de l'émotion. Édicter que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité » est une définition qui a sa place naturelle dans un dictionnaire, non une règle de droit car elle n'a aucun effet normatif.
Dans le même esprit, pourquoi n'y mettrait-on pas aussi les végétaux (bactéries, champignons, plantes et arbres) dont on rappellera que ce sont aussi des êtres vivants mais qui, à la différence des animaux, n'ont ni bouche, ni système nerveux, ni organes locomoteurs. Sont-ils pour autant dépourvus de sensibilité ? Probablement pas, les plantes et les arbres souffrent lorsque leurs conditions de vie ne sont pas assurées ; comme les hommes, comme les animaux, ils vivent et ils meurent. Faudrait-il pour autant les définir dans le code civil ?"
Je copie ce texte de Philippe Malinvaud, professeur à Paris II, publié dans le Recueil Dalloz du 15 janvier 2015 (p. 87-88) et qui me paraît pertinent après le refus du Sénat d'inscrire la précision que l'animal est un "être vivant doué de sensibilité" dans le Code civil. Ce texte révèle plusieurs critiques concernant l'amendement Glavany auxquelles il fallait s'attendre : pourquoi répéter ce que le droit reconnaît déjà ? Qu'est-ce qu'un "animal" ? De quelle sensibilité parle-t-on ?
Je ne pense pas qu'il faille s'indigner à ce point du refus de la part du Sénat de voter cet amendement qui, manifestement, induit en erreur. Le problème est qu'on entend tout et n'importe quoi à ce sujet. Certains médias ont relayé l'information en affirmant que le Sénat refusait d'assimiler l'animal à un être sensible, ce qui est faux. Notamment parce que la sensibilité de l'animal est reconnue ailleurs, comme dans le Code rural. Avec ou sans ce texte, l'animal est bien reconnu comme un être doué de sensibilité, malgré son exploitation sans limites.
La question de fond est donc l'intérêt de réaffirmer la sensibilité de l'animal dans le Code civil. Là encore, il y a beaucoup d'erreurs de compréhension. Avec cet amendement, les animaux resteront toujours soumis au droit des biens : on pourra toujours les acheter, les vendre, intensifier l'élevage, etc. Même l'aspect symbolique paraît douteux puisque dans l'opinion, on pourrait croire que, grâce à cet amendement, les animaux seront traités comme des êtres sensibles, s'imaginant que les animaux ne seront plus des biens. Mais ce texte, en plus de réaffirmer la sensibilité des animaux, réaffirme également leur soumission au droit des biens. Il ne s'agit donc, ni d'une avancée concrète ni d'une avancée symbolique.
Cet amendement apporte simplement le risque que le débat soit clos pendant un moment. Et ça, c'est la volonté des initiateurs dudit texte.
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Article :
L'animal va-t-il s'égarer dans le code civil ? Texte de Philippe Malinvaud, professeur à Paris II, publié dans le Recueil Dalloz du 15 janvier 2015 (p. 87-88).
"1 - La situation actuelle. Le code civil a pour vocation fondamentale de régler le statut civil des personnes, ainsi que leurs rapports entre elles ou avec les choses. Il est réparti en cinq livres : des personnes, des biens, des différentes manières dont on acquiert la propriété, des sûretés, des dispositions applicables à Mayotte.
Rien ne concerne les animaux, si ce n'est de manière très indirecte dans le livre II relatif aux biens où est faite la distinction des meubles et des immeubles. S'agissant des biens meubles, l'article 528 dispose : « Sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu'ils ne peuvent changer de place que par l'effet d'une force étrangère ».
Toutefois, certains animaux sont classés par le code civil dans la catégorie des immeubles par destination. Ainsi, l'article 524 dispose, de manière vieillotte et relative aux exploitations agricoles - qui étaient un bien important au XIXe siècle -, que « les animaux et les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds sont immeubles par destination » ; et sont ici explicitement visés « les animaux attachés à la culture », « les pigeons des colombiers », « les lapins des garennes », « les ruches à miel », « les poissons » de certaines eaux et plans d'eaux.
Mais n'entrent dans cette catégorie que les biens appropriés, c'est-à-dire ceux qui sont la propriété des personnes, ce qui n'est pas le cas de tous les animaux. Même s'il ne le dit pas, le code civil ne vise que les animaux de ferme, question importante en 1804, pas les animaux de compagnie et encore moins les animaux sauvages qui n'appartiennent à personne. En fait, l'immense majorité des animaux ne sont pas des biens et ne sont donc pas pris en compte par le code civil.
2 - Le lobbying animal. Depuis le début des années 1990, un certain nombre de juristes défenseurs des animaux ont milité, parfois avec beaucoup de talent, pour que l'animal ne soit plus considéré par le code civil comme une chose ou un objet et qu'il soit doté d'un statut, sinon même de la personnalité juridique. Ici, au moins implicitement, étaient visés les seuls animaux domestiques et de compagnie.
Leur action a été très puissamment relayée dans la grande presse par vingt-quatre personnalités, écrivains, philosophes, tous éminents mais non-juristes (not. L. Ferry, J. Julliard, B. Cyrulnik, E. Orsenna, F. Lenoir, M. Onfray, A. Finkelkraut, etc.) signataires d'un manifeste en 2013. L'indignation de ces intellectuels non-juristes se comprend dans la mesure où on est trop souvent confronté à des exemples aussi odieux qu'aberrants de mauvais traitements aux animaux. Certains, plus médiatiques que d'autres, nous sont rapportés par la grande presse : ainsi de celui qui projette son chaton contre un mur et qui en publie les images sur Facebook, ce qui lui a valu une peine de prison, ou encore les bébés phoques massacrés au Canada.
C'est dans ce contexte qu'a été adopté un amendement, à l'occasion des débats consacrés au projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, insérant dans le code civil, en tête du livre II consacré aux biens un article 515-14 aux termes duquel : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens », article dont les mauvais esprits relèveront qu'il fait directement suite aux articles relatifs aux : « mesures de protection des (personnes) victimes de violence ». Ironie du hasard ou perception subliminale ?
3 - Observations critiques. D'entrée, le signataire de ce Point de vue entend préciser qu'il a eu des animaux de compagnie, qu'il les a beaucoup aimés, qu'il a connu les animaux domestiques (ailleurs qu'au Salon de l'agriculture), mais qu'il est aussi un juriste, non un philosophe, un écrivain, etc. Or, si on quitte le domaine de la philosophie pour retrouver celui du droit, le texte voté appelle de nombreuses critiques. On en retiendra seulement deux.
En premier lieu, ce texte n'a pas sa place dans le code civil. On ne saurait trop rappeler que le code civil n'est pas un fourre-tout ; il ne traite que du statut civil des personnes, pas des animaux, ni non plus des choses ou objets divers. Il n'y est question des animaux que de manière très indirecte, comme une catégorie de biens pouvant appartenir à une personne ou susceptible d'entraîner la responsabilité d'une personne. Même les plus farouches défenseurs des animaux, à une exception remarquable près (J.-P. Marguénaud, La personnalité juridique des animaux, D. 1998. 205), n'ont jamais prétendu que les animaux puissent avoir un statut juridique comme les personnes.
Le texte de l'article le reconnaît implicitement. En effet, à la proclamation de principe figurant dans la première phrase succède immédiatement une proposition qui la contredit : « Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». En bref, au plan du droit civil, les animaux relèvent de la catégorie des biens corporels, c'est tout. Ce faisant, l'amendement reprend, à peu de choses, près la proposition formulée par l'Association Henri Capitant pour une réforme du droit des biens : « Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des choses corporelles » (art. 521). En fait, l'animal n'a rien à faire dans le code civil (V., dans le même sens, D. 2014. 1844, obs. B. Mallet-Bricout). En revanche, dans la mesure où il sert aux hommes à des titres divers, et notamment comme nourriture, sa place naturelle est dans d'autres codes, le code rural et de la pêche maritime ou encore le code de l'environnement.
Et tel est bien le cas. La définition qu'on voudrait insérer dans l'article 515-14 du code civil figure déjà, à quelques nuances près, dans le code rural qui consacre tout un chapitre à « la protection des animaux ». Ce chapitre est ouvert par l'article L. 214-1 ainsi rédigé : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». Et les deux articles suivants de proclamer : « Il est interdit d'exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu'envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité » (art. L. 214-3) ; « Tout homme a le droit de détenir des animaux dans les conditions définies à l'article L. 214-1 et de les utiliser dans les conditions prévues à l'article L. 214-3, sous réserve des droits des tiers et des exigences de la sécurité et de l'hygiène publique et des dispositions de la loi (....) relative à la protection de la nature » (art. L. 214-2).
Que les philosophes et les bons esprits se rassurent. Les animaux bénéficient d'une définition et d'un statut protecteur dans d'autres codes. Pourquoi faudrait-il également en faire mention dans le code civil, qui deviendrait ainsi curieusement un code suiveur du code rural ? Pour beaucoup, c'est une question de principe ; il s'agit de planter symboliquement un drapeau dans le code civil pour rapprocher autant que faire se peut l'animal de l'homme. Dans les faits, ce rapprochement viendra peut-être un jour - l'Homo sapiens faisait, semble-t-il, partie du règne animal - mais, pour l'instant, on ne le trouve que dans les films d'anticipation (La planète des singes). Il est alors piquant de constater que l'animal bénéficie d'une « promotion » qui n'est pas accordée au consommateur, seulement défini au code de la consommation. Il est vrai qu'à l'inverse du lobby animal, le lobby consommateur n'en demande pas plus...
En second lieu, il est important de dire que la définition prévue à l'article 515-14 ne saurait s'appliquer à tous les animaux, mais seulement à une infime minorité d'animaux supérieurs. Qu'est-ce, en effet, qu'un animal ?
Le Petit Larousse en donne la définition suivante : « Être organisé, doué de mouvement et de sensibilité, et capable d'ingérer des aliments solides à l'aide d'une bouche ».
Si on va chercher plus loin dans Wikipédia, on est effaré par la profusion du règne animal. Adieu les pigeons des colombiers, les lapins des garennes et les poissons des étangs du code civil ! On y lit que, « dans le langage courant, le terme "animal" est souvent utilisé (dans le sens de "bête") pour distinguer les humains du reste du monde animal ». De même, toujours dans le langage courant, « animal » peut faire référence à des animaux supérieurs, ou à l'animal domestiqué, de compagnie ou sauvage qui ont des statuts différents.
Quel est donc l'animal au sens de l'article 515-14 ? Faute de précision, on serait tenté de dire que c'est tout animal, quel qu'il soit. La liste est alors sans fin, on peut recenser plusieurs millions d'espèces ! Du plus simple au plus complexe Wikipédia cite :
- l'éponge, les anémones de mer, coraux et méduses, les vers ;
- les coquillages, les mollusques (escargots, limaces, moules, huîtres, poulpes, seiches), les crabes et écrevisses ;
- les poissons ;
- les myriades d'insectes, arachnides (araignées, scorpions et acariens, mais aussi libellules), hexapodes (blattes, mantes, termites et acariens), orthoptères (sauterelles, grillons), hémiptères (punaises, cigales), coléoptères (hannetons, coccinelles), hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis), diptères (mouches) ;
- les tétrapodes (reptiles, serpents, crocodiles, tortues), parmi lesquels figurent également les oiseaux et les mammifères.
On est quelque peu perplexe sur l'application de la future définition légale à ces divers animaux. Méduses, araignées, termites, fourmis, serpents sont-ils doués de sensibilité ? Et quid des huîtres que nous dégustons avec un filet de citron qui les fait réagir ? Les ostréiculteurs éprouveront certainement une grande fierté lorsqu'ils apprendront que leur produit phare est entré dans le code civil !
De tout cela, que conclure ? Qu'introduire l'animal dans le code civil est une fausse bonne idée qui relève de l'émotion. Édicter que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité » est une définition qui a sa place naturelle dans un dictionnaire, non une règle de droit car elle n'a aucun effet normatif.
Dans le même esprit, pourquoi n'y mettrait-on pas aussi les végétaux (bactéries, champignons, plantes et arbres) dont on rappellera que ce sont aussi des êtres vivants mais qui, à la différence des animaux, n'ont ni bouche, ni système nerveux, ni organes locomoteurs. Sont-ils pour autant dépourvus de sensibilité ? Probablement pas, les plantes et les arbres souffrent lorsque leurs conditions de vie ne sont pas assurées ; comme les hommes, comme les animaux, ils vivent et ils meurent. Faudrait-il pour autant les définir dans le code civil ?"