Sentience

Student Network for animal rights | Réseau animaliste étudiant

[Débat] Faut-il faire culpabiliser les consommateurs ?

Vous trouverez dans cette section de la documentation et des débats spécifiquement destinés aux militant-e-s en devenir. L'objectif n'est pas de vous convaincre que l'exploitation des animaux est une mauvaise chose et qu'il faut militer contre, mais de vous aider à réfléchir aux revendications que vous voudriez porter et au type d'actions dans lesquelles vous pourriez vous engager.
Voyez aussi la rubrique « Agir » de notre site web : http://asso-sentience.net/agir

[Débat] Faut-il faire culpabiliser les consommateurs ?

Messagepar Mata'i » Lun 2 Mai 2016 11:01

Qui est responsable de l'exploitation des animaux ? À quel point les consommateurs sont-ils responsables ? Faut-il les faire culpabiliser ?
C'est un débat que David a lancé sur le groupe Facebook de Sentience Rennes hier soir :
David a écrit:DEBAT DU SOIR : Qui sont selon vous sont les principaux responsables de l'exploitation et du massacre des animaux ? Est-il nécessaire de les "culpabiliser" ? Les considérer comme des ennemis ?
Un texte que j'avais écrit il y a quelques temps à ce sujet, je ne pense pas avoir trop évolué sur la question.

"Tous Responsables ? Tous coupables ?

Chaque jour en France, est organisé le meurtre de 3 millions d'animaux dans les abattoirs. Ces meurtres ne seront jamais jugées. La justice n'existe pas pour ces animaux. De la naissance jusqu'à la consommation de la chair des animaux, les acteurs qui participent à ce cauchemar interminable sont variés et nombreux. Ce sont nos amis, notre famille, nos concitoyens. Alors qui juger ? Les éleveurs ? Les employés d'abattoirs ? Les dirigeants des supermarchés? Les syndicats agricoles ? Le gouvernement? Les consommateurs ?

Si tout le monde est responsable et donc coupable, personne n'est en mesure d'être juge. Pas même les vegans qui ont autrefois manger des animaux. Certes, les degrés de responsabilités ne sont pas les mêmes. Mais le peu de responsabilité des uns ne leur permet pas de juger les autres. Si nous traitons de "criminel" le bourreau de l'abattoir, nous devons nous considérer comme des complices ou des anciens complices de crimes envers les animaux si nous les mangeons ou si nous les avons mangé autrefois.

Si nous ne sommes pas en mesure d'être juge, alors nous devons cesser de juger. Combattre des crimes organisées sans en juger les criminels n'est pas une chose aisée. Nous avons envie spontanément de faire du mal à ceux qui font le mal, de maltraiter ceux qui maltraitent, parfois non sans plaisir, des animaux. Mais cette rupture avec le jugement des coupables est nécessaire et sera une force pour notre mouvement.
Il sera plus aisé pour les consommateurs de devenir des ex-consommateurs de viande, pour les éleveurs des ex-éleveurs et pour les dirigeants d'abattoirs des ex-dirigeants d'abattoirs si ils ne ressentent pas une hostilité contre leur personne. Dans l'idéal, nous devrions avoir la même bienveillance pour eux que pour le chat qui torture la souris. Nous prenons le soin d'exonérer le chat de jugement en invoquant sa nature de chat, ses pulsions de prédateurs qui y seraient liés etc. Et quand bien même nous admettions qu'aucun déterminisme inhérent à notre nature nous pousse – humains - à tuer et à manger des animaux, nous ne devons pas oublier les déterminations sociales et culturelles qui nous ont façonnées. La plupart des éléveurs sont nés dans l'univers de l'élevage. Comment auraient-ils pu penser et agir différemment dans un monde où l'exploitation animale est si centrale ? Quel est leur réelle "marge de liberté" ? Pas plus grande que celle d'un chat chassant une souris, pas plus grande non plus que celle d'e Socrate ou de Platon, incapables de condamner l'esclavage en leur temps.
En jugeant les uns et non les autres, nous restons prisonniers d'une vision libérale des humains et d'une vision déterministe des animaux. Les uns sont doués d'un libre arbitre, libres de faire des choix et de changer. Les autres enfermés dans leur nature, n'ont aucun espace de liberté.

Pourtant, la force de la reproduction sociale montre à quel point les humains, s'ils sont acteurs et font des choix tous les jours, sont néanmoins le produit de la société dans laquelle ils vivent. Il ne s'agit pas de pardonner plutôt que de punir au nom d'une culture de l'excuse. Il s'agit, bien plus, d'en finir avec la culture du pardon et de la punition.

Ni pardonner, ni punir, donc, mais empêcher."


Quelques réponses :
Charlie Etlacontrepetrie a écrit:Sans dire qu'il faille culpabiliser les personnes consommant des produits animaux, je ne pense pas que nous ne puissions pas pour autant les juger. Bien que nous ayons participé à cette atrocité n'en sommes nous pas sortie en adoptant un mode de vie vegan ? La prise de conscience qui nous a poussé à changer notre rapport aux animaux n'est elle pas la preuve que, malgré notre milieu social, nous pouvons refuser de continuer à perpétrer ses meurtres de masse ?
Le consommateur de produits animaux porte peut-être des œillères imposés par son milieu social, sa famille ou sa culture, mais pour autant ce n'est pas une raison pour l'excuser. Comme tu le dis, il ne s'agit pas de pardonner. Nous sommes tous coupables de l'horreur dans laquelle les animaux vivent aujourd'hui. Pourtant, certaines personnes, initialement baigné dans la banalisation de cette horreur, se sont levé et on dit "Non". Alors, oui il y a une responsabilité collective, mais chaque individu porte en lui sa responsabilité individuelle.
Tout l'enjeu du militantisme est, je pense, de ne pas tenir une position de juge dans le rapport que nous entretenons avec le public. Certaines personnes ne sont pas au courant de la situation actuelle, ils ignorent à quoi ils participent quand ils achètent un steak ou quand ils utilisent des produits d'entretien. Il nous faut les informer, les accompagner, mais pas les juger ou les punir.
Cela dit, il arrivera peut-être un jour ou le jugement de certain sera nécessaire et la punition également.

Lucile a écrit:C'EST LE SYSTÈME QUI EST REPONSABLE.

Charlie Etlacontrepetrie a écrit:C'est clair que le système est pourri ! Mais c'est aux individus de le changer, il ne peut pas changer tout seul. C'est en ça qu'on peut dire que les consommateurs sont responsables. Ça n enlève pas le fait que pris dans un système c'est le bordel d en sortir. Il faut montrer en quoi le système est pourri et pourquoi il faut le changer

Mata'i a écrit:Je me souviens que lorsque j'ai décidé d'arrêter de manger de la viande, c'était en partie car je me sentais directement coupable de participer au grand massacre, et que je n'arrivais plus à me rassurer en me disant que je n'étais qu'un petit mangeur parmi des millions d'autres, qu'après tout, les animaux étaient déjà morts (autrement dit, que la responsabilité se situe en amont)... Par la suite, j'ai été frappé de me rendre compte que les gens qui mangeaient de la viande le faisaient sans culpabilité, et je me suis dit qu'il fallait qu'ils aient honte, qu'ils se sentent coupables d'alimenter la chaîne. Je me suis mis à collectionner les images de Vegan Sidekick, ce gars qui dessine des petites BD dans lesquelles il oppose systématiquement le gentil végane éclairé et le méchant carniste de mauvaise foi.

J'ai en partie changé d'avis après avoir interviewé Yves Bonnardel pendant 2h et lu le livret sur la végéphobie (la version longue), le livret « l'exploitation animale est une question de société » et vu la BD « pour l'abolition du véganisme, pour l'abolition de l'esclavage ». J'ai compris, premièrement, que les consommateurs ne faisaient pas leurs choix alimentaires par ignorance choisie, mais parce que divers acteurs et institutions les poussaient à faire ces choix-là (parents, école, cantine, restaurants, magasins, publicités...). Deuxièmement, je me suis rendu compte que la réussite de l'industrie de la viande dépendait en partie des choix des patrons des grosses centrales d'achat (qui ont le pouvoir de décider ou pas d'introduire des simili-carnés dans tout le pays) et des choix politiques des élus locaux et nationaux (subventions, recommandations nutritionnelles).

Finalement, j'ai compris que la chaîne de causalités qui se cachait derrière l'acte d'achat était longue, et donc qu'il n'était pas satisfaisant de se limiter à s'adresser aux consommateurs.

J'aurais envie de dire, en définitive, que les responsabilités sont partagées : les consommateurs ont une part de responsabilité, mais les patrons des abattoirs aussi, ceux des magasins aussi, les élus aussi... Je ne suis pas d'accord avec toi pour dire que le fait qu'on soit consommateur ou ex-consommateur de viande nous empêche d'émettre un jugement sur le comportement d'autrui. Tu peux très bien conduire une voiture à essence, tout en ayant conscience de participer à la pollution de l'air, te dire que tu as tort et dire aux autres conducteurs qu'ils ont tort aussi. Après, il faut qu'on s'entende sur le sens de « juger » : j'en parle ici au sens d'émettre une opinion sur la moralité des actes de quelqu'un. Si l'on parle de « juger » au sens judiciaire (décider du sort d'un accusé « au nom du peuple français »), il vaut mieux effectivement éviter que la personne qui juge soit « juge et partie ».

Il reste une ambiguïté avec la notion de responsabilité : peut-on être responsable d'un problème dont on n'a pas conscience et que l'on n'a donc pas cherché à alimenter en connaissance de cause ? Si je mange de la viande parce qu'on m'a toujours dit que c'était indispensable à ma vie et que les animaux étaient bien élevés, bien tués et conçus pour ça, peut-on vraiment me considérer comme « responsable » de n'avoir pas pensé à mettre en doute ces assertions en allant chercher les discours contradictoires ? Peut-on vraiment reprocher aux gens d'avoir « choisi » l'ignorance, comme je l'ai souvent vu ou lu ?

Le droit pénal français propose une définition de la responsabilité que je trouve intéressante : il y a responsabilité pénale lorsqu'il y a imputabilité et culpabilité. Par imputabilité, on entend le fait d'avoir commis la faute et d'en être conscient, quant à la culpabilité, c'est le fait d'avoir eu la volonté de commettre la faute. Lorsque j'achète de la viande sans avoir conscience du fait que ça implique des violences, des souffrances et un mépris pour les intérêts des animaux à vivre leur vie heureux et longtemps, ces violences etc. ne peuvent m'être imputées et par conséquent je ne suis pas responsable. Si je sais tout cela mais que je suis à l'hôpital et qu'on me sert un plat unique de raviolis, les violences etc. me sont imputables mais ma culpabilité est faible car il était difficile dans ces circonstances de ne pas commettre la faute, et je suis donc faiblement responsable. Enfin, si je connais les problèmes que pose la consommation de produits animaux et que je choisis d'en acheter alors qu'il me serait facile de ne pas le faire, il y a bien imputabilité et culpabilité, donc responsabilité.

Mais il reste toujours le fait que, même dans le cas de responsabilité le plus élevé pour un consommateur qui n'en a juste rien à faire des intérêts des animaux, cette responsabilité est partagée. L'imputabilité est partagée car la souffrance des animaux, les violences etc. ne sont pas dues qu'à mon acte d'achat : je ne commets pas entièrement la faute à moi tout seul, même si j'ai conscience d'en commettre une partie. La culpabilité est également partagée car mon achat n'est pas le fruit de ma seule volonté, il est aussi celui de la volonté du vendeur, du publicitaire qui a promu le produit, du politicien qui a subventionné l'abattoir, du journaliste qui a écrit que les droits des animaux, ça commence à bien faire...

Pour conclure sur la responsabilité, c'est une question qui me semble complexe et je pense qu'il est très facile d'en parler maladroitement en allant raconter aux gens que « le consommateur est le principal responsable » (en oubliant donc qu'il y a divers niveaux de responsabilité parmi les consommateurs, au pluriel) ou que « les clients font preuve d'une ignorance coupable » (là, on s'obstine à se focaliser sur les clients, alors même que les ignorants ne sont pas responsables et que leur ignorance est le résultat de la volonté d'un tas d'autres acteurs). On pourrait m'objecter sur ce second exemple que certaines personnes refusent de regarder les vidéos d'abattoirs (« je ne peux pas supporter ces horreurs ») et font donc bien preuve d'ignorance choisie. Je répondrai que si ces personnes savent que les vidéos sont insoutenables, c'est qu'elles ont bien conscience que l'abattage n'est pas un conte de fées. Il ne s'agit donc pas d'ignorance choisie (oxymore ?) mais d'un choix de ne pas approfondir un socle de connaissances qu'on a déjà sur le sujet, choix qui n'est je crois qu'une simple manifestation de la dissonance cognitive : je pense qu'il faut respecter les droits des animaux, mais je mange de la viande et tout ce qui me fait ressentir la contradiction qu'il y a entre les deux m'est désagréable donc j'évite de creuser de ce côté-là.

Quelles conclusions en tirer pour nos stratégies militantes ? Je pense qu'il vaut mieux éviter d'utiliser à la légère les notions de responsabilité et de culpabilité. En même temps, je sais que si l'on m'avait dit, quand j'ai commencé à me pencher sur la question animale « tu n'y es pour rien, ce n'est pas un steak de plus ou de moins qui va changer grand chose », j'aurais sûrement continué à manger de la viande. Il me semble donc utile de chercher à responsabiliser les consommateurs : montrer la réalité de l'exploitation animale (créer l'imputabilité : je prends conscience que mes choix alimentaires ont des conséquences morales) et montrer l'existence d'alternatives (créer la culpabilité : je réinterprète mes choix alimentaires comme une volonté active de ma part de manger des produits non nécessaires à ma vie). Néanmoins, comme les acteurs de l'exploitation animale sont nombreux, il ne faut pas se limiter au militantisme à l'égard des consommateurs, et penser aussi à viser les entreprises, les députés, les élus locaux, les journalistes... et j'ajouterais bien aussi à cette liste les militants véganes, qui peuvent contribuer au maintien de l'exploitation animale malgré eux lorsqu'ils mènent des actions contre-productives ou inefficaces et qui gaspillent de l'énergie. Mais le sujet de l'efficacité de nos actions est un autre débat...
« La tyrannie la plus redoutable n'est pas celle qui prend figure d'arbitraire, c'est celle qui vient couverte du masque de la légalité. »
Démocratie ≠ électocratie. Ce n'est pas aux élus d'écrire les règles du pouvoir ni de tout décider à notre place.
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